Paris compte plusieurs cours des Miracles dont la plus célèbre est celle de la rue Neuve-Saint-Sauveur (aujourd’hui rue du Nil) dans l’actuel quartier du Sentier. C’est un lieu fermé dans lequel personne n’ose s’aventurer, « un très grand cul-de-sac puant« , d’après Sauvai (1660).
Chaque soir, les truands s’y retrouvent pour faire bombance, sous l’autorité du Grand Coesre qui règne sur ce peuple de gueux
Le Pont-Neuf, par Nicolas Guérard.
Pour marcher dans Paris, ayez les yeux alertes.
Tenez de tous côtés vos oreilles ouvertes, pour n’être pas heurté, culbuté ou blessé.
Car si vous n’écoutez parmi le tintamarre, gare, gare, là-bas gare, rangez-vous, gare, ou du haut ou du bas vous serez écrasé.
La Cour des Miracles était un royaume intérieur peuplé non seulement de grands criminels mais aussi de truands, malandrins et faux mendiants qui exploitaient la charité publique. Parce que leurs prétendues infirmités disparaissaient comme par miracle, leur repaire, situé au coeur même de la Capitale, avait reçu cette appellation étonnante. En vérité, il y avait des « Cours » dans presque toutes les grandes villes; mais, la plus connue était celle de Paris que nous allons découvrir au XVIIe siècle d’abord, sous Louis XIII, Richelieu et Mazarin, puis, après la mort de ce dernier en 1661, sous le règne du Roi-Soleil, c’est-à-dire à l’époque de sa disparition progressive…
Au début du grand siècle la Cour des Miracles avait en effet acquis une existence de fait. Elle était tolérée et reconnue par les autorités, quelles qu’elles fussent, comme le refuge des malfaiteurs.
D’ailleurs, en dehors des initiés, et surtout la nuit, nul n’osait s’aventurer dans ces lieux maudits. Passer outre c’était risquer la perte de sa bourse, de ses vêtements ou de sa vie. Pour comprendre pareille situation il est nécessaire de revivre cette époque en se mêlant à la population parisienne, en examinant ses habitudes, ses mœurs, ses motivations, ses problèmes…
Paris est alors une ville très active qui grouille d’une population plus ou moins misérable dans sa majorité. Les vauriens de la Cour des Miracles n’ont aucune peine à se glisser parmi elle et à passer inaperçus. La circulation est difficile et les embarras multipliés par les rues étroites. Les animaux domestiques circulent librement et leurs excréments se mêlent aux détritus de toutes sortes, dégageant une odeur pestilentielle. Cette population semble avide de jouissances. De la période précédente elle a gardé le goût du sang.
La place Royale est habitée par la fine fleur de la galanterie et par la jeunesse dorée de l’époque. On se bat en duel à toute heure du jour et de la nuit malgré les interdictions. Sur le pavé gluant, le long des édifices noircis ou délabrés qui portent des enseignes de guingois, circulent à grand fracas des carrosses souvent couverts de boue. Des cochers brutaux hurlent en claquant du fouet.
L’étranger va loger sur St-Martin ou à la Croix de Fer, puis il découvre le Pont-Neuf en descendant vers la Seine. Le pont ses tours blanches, ses vastes parapets, ses balcons semi-circulaires sont envahis par une foule de marchands, filles, soldats, étudiants crottés, cavaliers et chaises à porteur. Beaucoup de filles sont des prostituées. La prostitution est d’ailleurs partout. Elle fleurit même au cimetière des Innocents.
Les étudiants viennent de toute l’Europe. Il y a parmi eux, beaucoup de rapins, plus ou moins griveleurs. Ils vivent d’expédients et sont une proie facile pour les usuriers. S’ils ont de l’argent, ils fréquentent les cabarets connus tels « le Riche Laboureur, le Pressoir, la Petite Pucelle ou la Pomme d’Eve »… Cette foule avec ses centaines de filous défile devant « Tabarin » qui « fricasse la farce » à côté de Gautier-Garguille qui chante à tue-tête pour couvrir la voix des bateleurs, bonimenteurs, tondeurs de chiens et petits poètes. Elle comprend aussi beaucoup de laquais et de secrétaires qui, à cette époque, jouent un grand rôle. Ils servent d’intermédiaires entre les nobles, les officiers et le peuple.
Le centre de Paris est une agglomération de rues étroites, de bâtisses en torchis, charpentes apparentes et pignons serrés. De là montent les cris de la Capitale, vacarme assourdissant ou criarde mélopée.
Le bas peuple est loqueteux, misérable, dépenaillé, vêtu chez le fripier d’habits et de chapeaux étranges. Il vit dans des bouges infects ou se rassemble dans les carrefours et au seuil des échoppes.
Les hommes de peine prédominent. On les reconnaît avec leurs grands chapeaux sur les oreilles et leur bâton à la main. Ils portent des sacs, des tonneaux, des paquets énormes pendus à des perches croisées sur leurs épaules.
Mais il y a aussi les joueurs de tambourins et de flûte, les vendeurs de chansons, les rémouleurs sur pierre, les marchands de vinaigre.
La batellerie couvre la Seine de mâts et de cordages, des chevaux de halage tirent sur les barques plates chargées de blé, vin, foin ou fumier. A la tête de ce trafic les officiers de la marchandise de l’eau sont entourés de déchargeurs, mesureurs, porteurs de charbon, manœuvriers. Tous ont leur corporation, leur saint patron et leur bannière. Ils s’agitent au milieu du bruit, dans le désordre et la plus grande malpropreté.
Cette peinture de Paris, trop sommaire bien sûr, montre avec quelle félicité a pu se développer une criminalité exceptionnelle. Le pouvoir est faible et divisé, le peuple ignorant et superstitieux, la moralité médiocre. Les escrocs, les faux mendiants, les spadassins, les coupe-bourses et les tire-laine ont beau jeu pour échapper à la police dans les rues étroites et mal éclairées. Cette police est d’ailleurs insuffisante en nombre ou en moyens et ses tâches sont très mal définies.
Depuis 1526 la Police Judiciaire est assurée seulement par un Lieutenant de robe courte spécialisé avec une trentaine d’archers pour la recherche et la capture des malfaiteurs. Il assiste le Prévôt de Paris, Chef de la Police, à la manière du lieutenant civil et du lieutenant criminel qui juge les crimes commis dans Paris et les Faubourgs.
Paris: paradis des femmes, purgatoire des hommes, enfer des chevaux
Les embarras de Paris
Les rues de Paris fort étroites ne facilitaient en rien la circulation; de plus, les animaux domestiques circulaient librement. Filous, buveurs, assassins et prostituées évoluaient en toute impunité.