Napoléon Bonaparte au Caire en 1798

Triomphante, l’armĂ©e rĂ©volutionnaire entend civiliser la contrĂ©e. Avec nombre de savants, d’ingĂ©nieurs et mĂŞme de dames. HĂ©las, les Egyptiens rĂ©sistent Ă  la marche du « progrès ».

Les Français au Caire

« Les soldats français se promenaient dans les rues du Caire sans armes et n’y inquiĂ©taient personne. Ils plaisantaient avec le peuple et achetaient Ă  des prix très Ă©levĂ©s tout ce dont ils avaient besoin. Ainsi ils payaient une poule un talari, un oeuf quatorze paras, c’est-Ă -dire ce que coĂ»taient ces choses dans leur pays. Cela encouragea le peuple Ă  entrer en relations avec eux ; on leur vendait toutes sortes de provisions : des petits pains, du sucre, du savon, du tabac, du cafĂ©, etc., mais toujours Ă  des prix excessifs. De sorte que les boutiques et les cafĂ©s se rouvraient peu Ă  peu ».

TĂ©moignage d’Abdel Rahman el-Gabarti.

Le Caire réserve un bon accueil aux soldats de Bonaparte

Une fois rassurée sur leurs intentions, la population cairote réserve plutôt un bon accueil aux soldats de Bonaparte

La déception du corps expéditionnaire de quelque 35 000 hommes qui débarque à Alexandrie, à partir du 1er juillet 1798, est immédiate et immense. Amas de ruines, ville abominable, la glorieuse capitale des Ptolémées est décrépite. Avec sa population réduite à 6 000 habitants environ, elle présente une image bien différente de celle attendue.
Les quatre jours terribles de traversĂ©e du dĂ©sert en direction du Nil, sous une chaleur torride, ne contribuent guère Ă  remonter le moral des troupes. Au Caire, la situation s’amĂ©liore. Une fois rassurĂ©e sur leurs intentions, la population cairote rĂ©serve plutĂ´t un bon accueil aux soldats français. Très vite, ces derniers font affaire avec les petits commerçants de la ville. A la date du 26 juillet 1798, Gabarti remarque qu’ils ne sont pas dĂ©rangeants et qu’ils paient les marchandises au prix fort. Prompts Ă  s’adapter, les Cairotes ouvrent toutes sortes de commerces d’alimentation pour satisfaire la clientèle. Les oulĂ©mas (savants) et les cheikhs, (dignitaires) qui composent l’Ă©lite Ă©gyptienne sont beaucoup plus rĂ©servĂ©s. Certains d’entre eux entrent au conseil ou diwan, rĂ©uni par Bonaparte, oĂą ils jouent le rĂ´le d’intermĂ©diaire entre l’occupant et la population.

Napoléon Bonaparte bouleverse des habitudes séculaires

Pour des raisons de sĂ©curitĂ© et d’hygiène, Bonaparte bouleverse d’entrĂ©e de jeu des habitudes sĂ©culaires. Il fait enlever les portes qui ferment les darb, ou unitĂ©s formĂ©es de ruelles et d’impasses composant les quartiers du Caire. Il impose l’Ă©clairage des rues par les habitants eux-mĂŞmes et fait infliger de lourdes amendes aux contrevenants. Pour prĂ©venir les Ă©pidĂ©mies de peste ou limiter leur propagation, il ordonne de vider les rues de leurs ordures, de les balayer et de les arroser, d’aĂ©rer vĂŞtements, tapis, literie. Pour vĂ©rifier l’application de la mesure, il fait inspecter les immeubles. Des femmes, habillĂ©es Ă  l’occidentale, sont mĂŞme recrutĂ©es pour visiter les harems. Bonaparte dĂ©crète l’inventaire des biens immobiliers et fonciers pour le cadastre. Les Egyptiens ne comprennent pas le pourquoi de ces dĂ©cisions qui donnent lieu aux rumeurs les plus folles: volontĂ© d’incendier les maisons, de piller. Ils n’y voient qu’une violation de leur intimitĂ©.

Les français et les femmes égyptiennes

L’attitude des Français envers les femmes est une vraie pierre d’achoppement pour les relations franco-Ă©gyptiennes. Elle blesse et humilie profondĂ©ment les Egyptiens. Ceux-ci sont d’abord scandalisĂ©s par le comportement des EuropĂ©ennes qui ont accompagnĂ©, en petit nombre, l’expĂ©dition. D’après Gabarti, elles se promènent dans les rues Ă  visage dĂ©couvert; elles montent Ă  cheval ou Ă  âne ; elles rient Ă  gorge dĂ©ployĂ©e et elles plaisantent mĂŞme avec les loueurs de montures ! ChoquĂ©s, les Egyptiens le sont bien davantage par la chasse aux femmes Ă©gyptiennes auxquelles se livrent des officiers, des soldats et mĂŞme des savants. Mariages avec des filles de notables, concubinages, frĂ©quentation des prostituĂ©es vont bon train. Les maladies vĂ©nĂ©riennes font des ravages. Elles emporteront 2 419 membres du corps expĂ©ditionnaire. Gabarti se dĂ©sole. Des femmes quittent le voile et imitent les EuropĂ©ennes; elles se mĂŞlent aux Français et se livrent avec eux Ă  de vĂ©ritables bacchanales. Bien des femmes paieront de leur vie leur compromission avec l’occupant après son dĂ©part.
L’imprimeur Antoine Galland avoue qu’avant l’occupation française une femme se promenant sans voile aurait Ă©tĂ© lapidĂ©e. De leur cĂ´tĂ©, les Français dĂ©couvrent l’excision, mutilation sexuelle qui perdure aujourd’hui. Dans un pays oĂą l’alcool est prohibĂ©, sa consommation par les Français et l’ouverture de nombreux dĂ©bits de boisson par des Grecs, qui s’empressent de rĂ©pondre Ă  la demande, n’attirent pas non plus la sympathie des Egyptiens. Gabarti s’Ă©tonne de la puĂ©rilitĂ© des soldats qui dĂ©pensent leur argent Ă  louer des ânes avec lesquels ils font la course en riant, en criant et en chahutant avec les âniers. Il constate que ce commerce est tellement actif que les rues, surtout près des garnisons, sont encombrĂ©es de baudets Ă  louer.

Français et Egyptiens se surprennent mutuellement

Les Français tentent toutefois de séduire les Egyptiens avec des amusements plus raffinés. Tivoli, sorte de parc de loisirs, est ouvert à tous moyennant une modeste contribution. Mais
les Egyptiens le boudent.
Gabarti Ă©voque le théâtre et l’opĂ©ra qui rĂ©unis-
sent un public français, sans toutefois s’y aventurer lui-mĂŞme. Autant de distractions bien Ă©loignĂ©es des coutumes Ă©gyptiennes.
Français et Egyptiens se surprennent mutuellement par leur manière de manger. Les premiers s’Ă©tonnent de ce que les seconds s’assoient par terre et mangent avec leurs mains. Les Egyptiens dĂ©couvrent que les Français s’installent autour d’une table sur des
chaises et mangent avec des couverts. Au cours des rĂ©ceptions officielles, les Français se plaignent de l’attitude rĂ©servĂ©e des Egyptiens et de leur manque de gaietĂ©. Pour eux, le comble est atteint lorsque ces rĂ©ceptions Ă©gyptiennes sont assorties de musique aux sons jugĂ©s discordants.
D’autres habitudes françaises dĂ©goĂ»tent les autochtones. Gabarti s’indigne : « Les Français n’ont aucun souci de cacher leurs parties honteuses […]. Quand l’un d’eux Ă©prouve l’envie de faire ses besoins, il les fait en quelque endroit que cela se trouve, et mĂŞme si c’est Ă  la vue du public […]. Ils n’enlèvent jamais leurs chaussures. Ils foulent de leurs pieds chaussĂ©s les tapis les plus prĂ©cieux. »

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