Le témoignage de Pline le Jeune a permis de reconstituer les événements.
Sa description du panache a donné l’occasion de qualifier ce type de manifestation d’éruption plinienne. Dans la nuit et le lendemain matin, des coulées pyroclastiques, autrement appelées nuées ardentes, submergent Herculanum, carbonisant les survivants. Du côté de Pompéi, la cendre commence à retomber en couches épaisses, saturant l’atmosphère et asphyxiant les survivants. Le soleil est caché, les fuyards, suffoquant, se déplacent dans l’obscurité. Peu à peu, la cendre s’accumule et ensevelit la cité. Son épaisseur est telle qu’elle recouvre tout en une masse compacte et collante qui, paradoxalement, va permettre la conservation des vestiges.
Nouvelles révélations…
Pour connaître les circonstances de la mort, les archéologues se fondaient jusqu’à présent sur la position dans le sol des victimes , et sur l’observation de la physionomie des dépouilles, A partir de ces observations, on avait conclu que la plupart des victimes avaient été asphyxiées par les émanations de gaz, ce qui permettait d’expliquer les visages grimaçants et les contorsions des corps.
L’étude de 86 dépouilles a permis aux archéologues de contester cette conclusion. «A partir des analyses effectuées sur les os, nous avons découvert de nombreuses fractures sur les crânes. Ce qui laisse penser que beaucoup de personnes sont mortes parce que les toits se sont effondrés sous le poids des pierres ponces », explique le surintendant archéologique de Pompéi, .et non par suffocation comme on le pensait jusque-là.»
Autre enseignement, beaucoup ont péri instantanément du fait de la chaleur, si élevée (300°C) que les victimes ont brûlé en une fraction de seconde, sans avoir le temps de se débattre. Selon les spécialistes des grands brûlés, les contorsions impressionnantes des corps auraient été provoquées par le choc thermique.
Les chercheurs ont également mis en valeur un élément inattendu : le bon état de santé des habitants. L’analyse des dentitions a appris que, non seulement leur régime alimentaire était sain et équilibré, mais aussi qu’ils ne souffraient d’aucune carie. « lls mangeaient peu de sucres et beaucoup de fruits et de légumes », résume l’orthodontiste Elisa Vanacore. Cette dernière souligne également les niveaux de fluor élevés dans l’air et l’eau à proximité du volcan. Ce dernier a donc longtemps été bienfaisant… avant de causer la perte de tous.
De chance de salut, il n’y en eut vraiment que pour ceux qui habitaient au sud et au sud-est de la ville. Et encore, à la double condition qu’ils n’aient pas tardé à fuir et que, fuyant, ils aient emprunté la porte de Nocera au lieu de celle de Stabies, Stabies ayant été, comme on le sait, ensevelie elle aussi. Double condition trop rarement remplie, hélas ! Car, de ce côté également, les scènes de désolation furent nombreuses.
A la grande palestre, l’éruption a surpris des maçons en plein travail. Un instant ils sont restés sous les portiques, puis l’un d’eux a eu une idée : la latrine ! Elle pouvait, en effet, opposer au bombardement de scories un asile sûr. Ils y courent donc et s’enferment. Au début ils se montrent altruistes. Lorsque d’autres, pris de la même idée, viennent frapper, ils ouvrent. Et puis, assez vite ils se jugent assez nombreux et n’ouvrent plus. Combien, ainsi rejetés, périrent écrasés par les colonnes du portique voisin ? On ne le sait avec certitude. En tout cas, à juger par les ossements, ils furent nombreux.
Mais il est trois personnes dont on a pu reconstituer l’agonie, car, en les asphyxiant, les cendres moulèrent leur corps. La première est un muletier qu’accompagnait sa mule. Il a frappé, on ne lui a pas ouvert. Il a insisté, et toujours on s’est refusé à lui ouvrir. Maintenant que le portique a été jeté bas, il ne peut servir de refuge.
Où aller? La pluie de cendres est devenue de plus en plus dense, et aveugle. Alors, il se résigne. A la porte de la latrine, il s’accroupit. Il détache sa mule dont le cou, à la mode campanienne, s’ornait d’un collier de verre. Qu’elle se sauve si elle veut ! Pour lui les pérégrinations sont terminées. Il se couvre la bouche d’un pan de son manteau et attend. Et la mule aussi attendra qui, fidèle jusqu’à la fin, périra à ses côtés, suffoquée.
Un peu plus loin est mort un beau jeune homme aux jambes fines et longues, un athlète sans doute, qui avait gardé à la main ses strigiles et son flacon d’huile. Lui n’a pas insisté quand on ne lui a pas ouvert, et il est mort avec la dignité qu’exigeait l’éducation qu’il avait reçue.
Quant au troisième, sentant venir l’agonie, il a voulu la rendre aussi douce que possible. Sous ses genoux repliés, il a placé des bouts d’étoffe, sur sa tête il a rabattu son capuchon, puis il s’est couché dans la position du foetus, finissant son cycle biologique comme il l’avait commencé.
Les ouvriers qui s’étaient barricadés ne furent pas sauvés par leur égoïsme. Dans leur latrine ils étaient à l’abri du bombardement de scories, mais non de la pluie de cendres, et quand celle-ci s’y infiltra, tous périrent jusqu’au dernier.
Mais bien d’autres ossements, en fait plus ici que partout ailleurs, ont été découverts à l’intérieur et aux abords de la grande palestre, montrant que, même dans ce quartier favorisé, même dans les pauvres insulae, la plupart ne surent pas se sauver à temps. Quand l’éruption a commencé, ils se sont, comme les riches, claquemurés chez eux. Puis la pluie de cendres est arrivée, alors ils ont fui. En famille, en groupes pathétiques de quatre, cinq ou six personnes : le père, la mère, les enfants !
Parfois deux familles, des voisines de seuil sans doute, se sont agglomérées, comme si le fait de s’unir rendait le salut plus sûr. Lorsqu’elles prirent le temps de ramasser leurs trésors, ceux-ci ne représentaient pas grand-chose : quelques bijoux de pacotille, de la menue monnaie, parfois rien du tout. De petites gens donc, qui, avant de suffoquer, tombèrent ou se jetèrent la bouche contre terre.
Même la porte de Nocera ne fut pas pour tous la porte du salut.
Un jeune couple l’a, non sans peine. atteinte et même dépassée. Comme les autres, il s’est barricadé dans sa maison tandis que s’abattait le premier bombardement de pierres ponces, et maintenant, pour avancer, il doit lutter contre cet ouragan de cendres qui aveugle. colle à la peau, brûle la gorge. Grand, vigoureux, taillé en athlète, l’homme marche devant, essayant de frayer à sa compagne un passage au milieu du monceau de scories ; il lui tient sans doute la main. Et puis soudain la femme tombe, la face contre terre, et n’arrive pas à se relever.
L’homme veut l’aider ; à son tour il s’effondre. Dans un dernier effort, leurs mains essaient de se rejoindre, mais la pluie de cendres leur refusera cette ultime faveur.
Un autre homme est également arrivé à traverser la porte. Il est déjà parvenu à s’engager parmi les tombeaux qui, ici également, bordent la voie. Et puis il s’est perdu. Les cendres l’ont aveuglé. Au lieu de poursuivre droit vers le sud, il a, sans s’en rendre compte, obliqué vers l’ouest. Et la mort le surprendra errant au milieu du pomerium, à proximité d’un petit mur qu’il n’aura même pas eu la force de franchir.
Mais le plus insolite des corps que livrera la porte de Nocera est celui d’un… mendiant, avec sa sébile et son bâton de marche. Un mendiant ! Qu’est-ce qui avait bien pu le retenir dans cette ville maudite, l’empêcher de fuir quand il en était encore temps? Dans sa besace, il avait de quoi manger, on y trouvera. dix-neuf siècles plus tard, des reliefs de victuailles, dont un os entouré de chair, et surtout il avait de quoi courir ! Aux pieds il portait en effet une paire de magnifiques sandales, des sandales comme nul mendiant n’en eut jamais : robustes, élégantes, maintenues par un savant jeu de courroies, en tout point dignes d’un prince !
Mais de tous les récits de la porte de Nocera, le plus pathétique est assurément celui-ci. exhumé il y a peu. Il s’agit de treize personnes. formant trois familles, deux familles de fermiers et la famille d’un marchand. Des voisins, qui habitaient tout près et probablement s’entendaient très bien.
Lorsque le bombardement a commencé, ils se sont concertés et se sont sans doute réfugiés dans la maison la plus solide. Puis, quand s’est abattue la pluie de cendres, ils ont décidé de fuir. Déjà toute la campagne était couverte d’un linceul de scories.
Aveuglés. suffoquant, ils se sont engagés sur la route qui passait devant chez eux. En tête, un esclave portait sur l’épaule un sac de provisions. Derrière lui, deux petits garçons de quatre à cinq ans marchaient la main dans la main pour se donner du courage ; on leur avait remis un morceau de toile et ils essayaient de se l’appliquer sur la bouche. Puis venaient leurs parents, le père aidant la mère à avancer, sans doute une invalide. La deuxième famille était composée d’un jeune couple et d’une petite fille ; chacun se protégeait la bouche avec une pièce d’étoffe. Enfin venait la famille du marchand : deux enfants de dix ans qui, eux aussi, se tenaient par la main, une petite fille plus jeune que menait la mère, puis le père.
Et ces treize personnes, dans cette tempête de cendres, dans cette nuit noire, au milieu des scories, allaient. Mais où? Vers quel espoir? Comment pouvaient-ils penser en réchapper avec des enfants si jeunes? Ils allaient, parce qu’il fallait bien tâcher de faire quelque chose, parce que l’homme ne se résigne pas facilement à mourir immobile ; ils allaient, cortège lugubre de condamnés, image éternelle de la vitalité humaine !
Et dix-neuf siècles plus tard, on les retrouvera, moulés par les cendres, dans la position, avec les expressions de leurs derniers moments, les uns recroquevillés sur eux-mêmes, les autres étendus, soit sur le dos, soit la face contre terre. Les petits garçons de quatre et cinq ans avaient la figure sereine ; les enfants de dix ans, les membres entrelacés, se tenaient toujours par la main. Quant au marchand, lui ne gisait pas, mais, tombé sur les genoux, le bras droit arc-bouté sur un talus, le dos tendu, il essayait encore, quand la mort qui le tenait à la gorge eut raison de lui, de se mettre debout…
Quand, quelques heures plus tard, la pluie de cendre cessa, la ville la plus riche et la plus heureuse de Campanie n’était plus. Et la plus grande partie de ses quinze mille habitants étaient morts dans la plus affreuse des agonies : asphyxiés, écrasés, ensevelis. Deux autres villes avaient disparu : Herculanum et Stabies.
«Une nuée noire et épaisse s'avançait sur nous par-derrière, pareille à un torrent. [...] On entendait les gémissements des femmes, les vagissements des bébés, les cris des hommes », écrit Pline le Jeune.