Le besoin de sommeil du Poilu

J’appris vite à dormir avec des godasses trempées, car tenter de les remettre après les avoir enlevées eût été illusoire, à dormir quatre heures dans une capote mouillée, au milieu du vacarme, des bruits humains, des odeurs pestilentielles.

Ils savaient le prix du sommeil. De quel sommeil pourtant ?
La nuit du samedi à dimanche, j’ai couché avec les hommes dans un boyau couvert où l’on aurait pu parquer dix vaches et où nous étions cinquante-trois. Nous couchions en « sardines ». Une fois étendu et en position de dormir… deux souliers ferrés m’agrippèrent au cou tandis que deux coudes secs me martelaient les chevilles. J’aurais bien consenti à passer la nuit sans bouger, mais il n’était plus temps de traiter ; mes voisins ronflaient déjà à toute vapeur, m’étreignant dans un étau, et à chaque poussée qu’on leur transmet des deux bouts de la galerie, me rabotent de tous leurs clous. Enfin je pus me remettre assis, et je ne sentis plus qu’un seul soulier dans le flanc gauche.

La privation de sommeil triomphe de tout, même de l’instinct de conservation.
J’ai cessé d’admirer Turenne qu’il fallut réveiller pour la bataille, depuis que j’ai entendu mes hommes ronfler en plein combat sous le feu de l’artillerie.
Ils dorment, les pauvres gars, tout frémissants encore des angoisses de ces mauvais jours. Beaucoup parlent ou crient en dormant, ivres d’une ivresse qui vient de tout le sang de leur corps en effervescence, de la sueur à seaux qui les vide, de la trépidation des nerfs qui les déchire.
J’ai prétendu dormir recroquevillé dans une niche qui trouait la paroi du boyau. Toute la nuit, des ruines molles (la craie délayée de la voûte) ont ruisselé sur ma tête, mes épaules et mes genoux qu’ensevelissait ma toile de tente

Les Poilus savaient le prix du sommeil

Avec la faim et la soif, le besoin de sommeil dominait la vie quotidienne des hommes des tranchées. Privés de leurs heures régulières de repos nocturne par le tour de garde, réveillés trop souvent dans leur court sommeil par une alerte ou un bombardement, ils se rattrapaient le jour à chaque occasion.
La fatigue des corvées s’y ajoutant, ils tombaient dans un sommeil profond à n’importe quel moment perdu, le prenaient dans n’importe quelle position et où que ce fût : recoin de tranchée, de boyau ou de sape, place libre dans un abri, si sale et malodorant fût-il.
En deuxième ligne, en réserve, les nuits pouvaient être moins agitées, et dormir, même en compagnie des rats, y devenait un plaisir des dieux. La perspective d’une relève prochaine pour une attaque ou la montée à Verdun, pas davantage la bataille sévissant dans un secteur voisin, ne pouvaient empêcher le soldat de dormir, bien au contraire sans doute. Si on doit y monter, on le verra bien. D’ici là, on va en écraser.

Une torpeur profonde du Poilu

Le sommeil n’est pas troublé par les sifflements rageurs et les détonations saccadées d’une batterie de 17 toute proche, qui se réveille à la tombée de la nuit et se déchaîne, tapageuse et hurlante. Du reste, le bombardement, s’il est continu, parvient à engourdir et endormir les sens, insensibilise la plupart des hommes, et, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les plonge dans une torpeur profonde et beaucoup ne furent réveillés que par la blessure ou la mort. Sur mon carnet, j’ai écrit, il y a 50 ans bientôt :
Malgré les éclatements tout proches, les balles qui avaient l’air de rentrer dans l’abri, naturellement tourné vers les Boches (il vient de leur être pris) et les fusées qui, dans le cadre de sa porte, allumaient des lueurs d’incendie, tout le monde a plus ou moins somnolé. t qui de nous n’a dormi sans cauchemars près de cadavres anciens ou récents, ennemis ou hélas ! — amis ? Pourtant la profondeur de ces sommeils n’éteignait pas toujours la lueur mi-consciente du brusque danger possible.

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