Quelle était la particularité du divorce à la romaine ?
Sa rapidité sitôt dit, sitôt fait. Car le mariage était une affaire privée que ne sanctionnait aucun acte d’état civil, une sorte de concubinage, passion en moins, affaires en plus. L’empereur, tel Claude, peut se trouver «divorcé» à son insu. Tout comme des fonctionnaires mutés que leurs épouses refusent de suivre. La femme du boucher «divorce» pour épouser le boulanger gagnant mieux. Inversement, Caton d’Utique, parangon de vertu romaine, «prête» sa femme à un ami avant de la réépouser, récupérant au passage un fabuleux héritage. Le père de Néron «fiance» son épouse à Auguste, futur empereur. Le couple tel que nous l’entendons reste à inventer…
La femme est une génitrice
On se marie avant tout pour avoir des enfants :
« Si nous pouvions vivre sans femmes, nous nous passerions volontier de ce fardeau; mais comme la nature a voulu que nous ne puissions vivre tranquillement avec elles, ni vivre sans elles, il nous faut veiller à la conservation de la race plutôt que de rechercher des jouissances de courte durée. »
C’est un magistrat qui s’exprime ainsi officiellement: le censeur Q. Caecilius Metellus Macedonicus dans un discours prononcé en 131 av. J.C.
La cérémonie commence dans la maison du père de la jeune fille, où se réunissent les invités. Parents et amis. Les mains droites des deux époux sont jointes par une femme mariée, et un sacrifice, qui ne comportait sans doute pas de victime animale, est accompli sur l’autel domestique ; puis un banquet est offert a l’assistance par le marié. Ensuite, la jeune mariée est arrachée à sa mère avec une violence simulant un enlèvement, et accompagnée par un cortège de jeunes filles et de jeunes gens portant des torches jusqu’au domicile de son mari, des joueurs de flûte se joignent au cortège, et on récite des vers obscènes : les jeunes gens jettent des noix aux enfants, friandises comparables à nos dragées, mais aussi parce que la noix est symbole de fécondité.
A son arrivée à la maison de son mari, la mariée est soulevée dans les bras de ce dernier pour en franchir le seuil. Car il existe à Rome un très fort tabou concernant les seuils ; le marié présente alors à la jeune femme l’eau et le feu, qu’elle doit toucher, symboles de son autorité de maîtresse de maison sur son nouveau foyer. La mariée, de son côté, remet une pièce d’un as à son mari et en fait tinter une au carrefour le plus proche, gestes exprimant son incorporation à son ménage, à sa maison, à son quartier.
Elle est ensuite accompagnée jusqu’à la chambre nuptiale, où la rejoint son mari après que des matrones ont dénoué sa ceinture ; devant la porte de la chambre. Des jeunes gens chantent un chant nuptial invoquant Ie dieu Hymen.
Dans les exemples que nous a laissés l’histoire, les filles sont toujours mariées, en fait, sans avoir été consultées, même si juridiquement elles doivent donner un consentement.
Au surplus, on les mariait très jeunes, souvent même avant qu’elles fussent nubiles. L’âge légal du mariage était de douze ans, mais la fillette pouvait, dès l’âge de sept ans, être fiancée officiellement, et conduite aussitôt dans la maison du fiancé, avec un titre équivalent à celui d’épouse. Sept ans, c’était l’âge à partir duquel la fillette était censée pouvoir donner un consentement valable. Jusqu’à douze ans, elle restait dans une situation provisoire, mais déjà à la disposition du fiancé, auquel il appartenait seul de consacrer définitivement l’union. Plutarque rattache cette précocité à une réglementation ancienne, qui remonterait au roi Numa : c’était afin qu’elles apportent sûrement à leurs époux un corps et un coeur purs et intacts.
Mais il y avait d’autres raisons : désir d’établir des liens entre deux familles, crainte de se laisser devancer dans le choix d’un riche héritière, désir du mari de former sa femme à son goût, parfois hâte du père à s’en débarrasser. A partir d’Auguste s’y ajouta le souci d’échapper à l’impôt sur les célibataires, dont les fiançailles de ce genre exonéraient. Fiançailles et mariage étaient alors presque identiques, et créaient des droits presque équivalents. C’est lors des fiançailles qu’on échangeait les anneaux, et que la fiancée changeait de domicile.
Ce système des mariages imposés par les familles ne produisit pas que des unions désastreuses. Certaines furent même très heureuses, et le plus bel exemple en est celle qui fut conclue entre Julia, fille de Jules César, et le grand Pompée.
Mais à en croire Plutarque, contrairement aux Grecques mariées après la puberté, les Romaines traumatisées par une défloration précoce ont peur de leur mari. Néron fêtant ses noces homosexuelles va, dit Suétone, jusqu’à imiter les cris et hurlements des vierges que l’on déflore. La consommation brutale est donc, soit une réalité courante, soit un fantasme bien ancré dans les mentalités de l’époque.
La mortalité élevée des femmes en couches, particulièrement à Rome, ville insalubre s’il en est, incite vraisemblablement au mariage précoce. Sous l’Empire romain, la moitié des femmes meurent avant quarante ans, rançon de la natalité et, pour les femmes de classes inférieures, d’un travail rude, quasiment à égalité avec les hommes.
Le taux de mortalité élevé, ajouté à la facilité du divorce, explique le nombre important de remariages. Sylla, Pompée, Marc Antoine: cinq femmes chacun. Sylla se comporte avec panache : il renvoie sa troisième femme avec force éloges et cadeaux, désirant simplement une quatrième plus fécondee. certaines épouses stériles, exemplaires, vont jusqu’à proposer elles-mêmes leur répudiation. C’est le cas de Turia, qui incite son conjoint au remariage, ce dont ce dernier se montre fort affligé. La famille recomposée est la norme. De quoi créer des situations familiales un peu compliquées, même à nos yeux, et fournir du travail aux juristes.
D’autant que s’y ajoute la circulation des femmes. Par quel autre terme désigner cette curieuse pratique de la société romaine selon laquelle la répudiation, autrefois assurée en cas de stérilité, devient un arrangement entre hommes qui se prêtent leurs épouses, leurs soeurs, leurs filles ? Caton a cédé sa femme Marcia à Hortensius qui désirait avoir des enfants, et après son veuvage, l’a reprise plus riche. Quel époux vénal, persifle César! Rien ne qualifie cet acte d’un point de vue moral, une telle conduite va de soi.
A moins que l’on ne divorce simplement pour cause de mésentente. Le divorce n’est pas l’apanage des seuls hommes. Le mariage est une institution… provisoire. Sur le plan du droit, divorcer est chose aisée, surtout dans le cas des mariages sine manu où la volonté unilatérale suffit. Perpétuelle mineure, la femme romaine est-elle pour autant une opprimée ? Elle connaît une vie sociale active, luxueuse même en dépit des efforts tenaces de Caton le Censeur qui fait voter la loi Oppia réprimant les dépenses féminines. Elle a sa place avec les hommes lors du repas du soir, la cena, occasion obligée de convivialité et de rencontre dans la société romaine, et n’en sort qu’au moment de la commissatio, quand les hommes se mettent à boire… A elle la charge, ensuite, de diriger les servantes pour remettre de l’ordre. Si elle s’est mariée sine manu, elle administre elle-même sa fortune, une fois veuve ou divorcée.
A Rome, le couple n’est pas un idéal. Pas plus que la famille, au sens moderne que nous donnons à ce terme. Familia désigne toutes les personnes placées sous l’autorité d’un maître de maison, ou tous les descendants d’un ancêtre commun, ou tous les biens d’un individu, esclaves compris. Etre paterfamilias, c’est avant tout être un maître de maison, pas forcément un père : c’est avoir, donc, autorité sur tous ses membres, y compris la femme. La jeune fille passe de l’autorité du paterfamilias à celle de son époux, futur paterfamilias. C’est le chef de famille qui choisit et décide le mariage de ses enfants. Les mères, non consultées, peuvent bien se mettre en colère: elles n’ont aucun pouvoir.
Le mariage est une institution centrale de la société romaine et, de lui, dépendent le culte aux ancêtres et la citoyenneté. Autant dire que l’accent est toujours mis sur la nécessité du mariage du point de vue social et économique, et sur son caractère légitime, du point de vue politique et juridique.
Quant à la fidélité, on attend du mari, qui trouve généralement son plaisir dans des aventures extra-conjugales, qu’il se conduise avec une relative discrétion, et bon goût. Il va de soi que la femme responsable de la pureté du sang n’a pas droit aux mêmes égards. L’adultère peut lui valoir une mise à mort, sans autre forme de procès. Plus encore que pour le mari, la discrétion est de rigueur.
On attend du mari, qui trouve généralement son plaisir dans des aventures extra-conjugales, qu'il se conduise avec une relative discrétion, et bon goût. Il va de soi que la femme responsable de la pureté du sang n'a pas droit aux mêmes égards. L'adultère peut lui valoir une mise à mort, sans autre forme de procès.
Les hommes se prêtent leurs sœurs, leurs filles, leurs épouses