La Constitution civile est fort mal accueillie dans les paroisses, et notamment le serment exigé du clergé.
Tout ce qu’en voient les fidèles, ce sont les effets : brimades contre les prêtres, liturgie
abîmée, traditions ancestrales bafouées (suppression des sonneries de cloches, des processions, des fêtes patronales).
Avec la Constitution civile, l’Assemblée se met ainsi en contradiction avec ses principes fondateurs en bridant la liberté de culte dans un carcan étatique.
Au moment où l’Église de France perd son statut de religion d’État, les députés donnent au clergé une constitution officielle, calquée sur celle de l’État :
– Le diocèse prend les limites du département.
– L’évêque est élu, à l’instar des exécutifs départementaux.
– Le clergé est élu lui aussi (par une assemblée de citoyens de toutes religions ou athées) et
fonctionnarisé (son traitement est versé par l’État).
– Le lien millénaire avec le successeur de saint Pierre est remplacé par un serment aux institutions de l’État.
C’est un acte arbitraire et maladroit qui va soudainement provoquer la cassure. Le 12 juillet 1790, la Constituante qui a déjà supprimé le Clergé comme ordre politique et déclaré que le culte catholique n’était plus religion d’Etat, vote la fameuse Constitution civile du clergé.
Le nombre des diocèses est réduit à quatre-vingt-trois, soit un par département. Les évêques et les curés seront désormais élus par les électeurs des départements et des districts et l’investiture spirituelle échappera, en fait, au pape. Un décret donne deux mois aux écclésiastiques pour prêter serment de fidélité à la Constitution. Ceux qui, le 26 décembre, n’auront pas prêté serment seront déclarés réfractaires et déchus de leur fonction et de leur traitement, lequel en outre est d’ores et déjà réduit de moitié pour les prêtres et les évêques.
Le Vendéen, jusqu’alors inactif, se redresse. Au moment ou les réformes l’atteignent dans sa foi et sa liberté, c’est la révolte. Les protestations des évêques de Poitiers, Luçon, Angers, Nantes, La Rochelle sont rapidement connues. La majorité des prêtres refusera l’obligation du serment .
Les prêtres assermentes ou jureurs ou constitutionnels, ce sont les « intrus » qu’on oppose aux « bons prêtres ».
L’un d’eux arrive-t-il dans une paroisse ? Aussitôt les habitants l’insultent, le molestent ou le chassent. On ne veut pas des « mauvais » qu’on a en horreur.
Un jureur nommé à Saint-Michel-du-May note ses impressions : « Les enfants sur mes talons. les femmes âgées sur leur porte. les hommes courant sur mon passage, me menaçant me provoquant, m’insultant, me disant que si je venais pour déplacer leur curé je n’y serais pas pour longtemps. D’autres femmes cherchant des pierres pour m’assomer, entre autres une des plus proches voisines de la cure excita ses camarades à m’arrêter et engager les hommes à m’arracher les yeux une autre dans ce genre-là, prenant son sabot à la main, accourait vers moi m’en frapper ».
A l’auberge, on refuse de le servir et, le Jour des Morts, alors qu’il se rend à l’église pour officier, une volée de pierres l’accueille et l’oblige à rebrousser chemin. Quelques jours plus tard, il démissionne.
A la Chevrolière, (Loire-Inférieure) près du lac de Grandlieu, on jette le curé jureur à l’eau. A Mélay (Maine-et-Loire) les élus municipaux dirigent des manifestations organisées pour chasser ou dégoûter le nouveau curé. A Saint-Quentin-en-Mauges, on jette des pierres dans l’église où un prêtre assermenté célèbre la messe.
Aux Sables-d’Olonne (Vendée) » l’ intrus » Gérard ne peut circuler sans se faire traiter de « gros goret ». Aux Echaubrognes (Deux-Sèvres) les villageois menacent leur curé de lui passer trois balles dans le corps s’il prête serment.
Les gendarmes doivent souvent intervenir pour protéger le nouveau venu et l’imposer à la population. Ces gendarmes. les « Roussillons » comme on les appelle, parce qu’appartenant au régiment de Roussillon, doivent demander main forte aux gardes nationaux pour se faire obéir. Les uns et les autres en profitent pour se livrer à des excès qui. loin d’intimider les paysans, les exaspèrent. Ils ne cèderont pas et multiplieront sans cesse les appels à la résistance. Témoin cette lettre placardée sur la porte de la mairie de Mélay : Il faut détruire ceux qui sont contre la religion. C’est la religion que nous voulons défendre au péril de notre vie. Je vous trace cela avec une plume et de l’encre : mais mon sang le prouvera quand il sera à propos. Adieu ! Je vous avertis.
Le langage est clair. Les Vendéens ne veulent pas de leurs nouveaux prêtres et ils réfutent du même coup un gouvernement qui n’est pas chrétien. Donc, pas de nouveaux curés, pas d’intrus.
En Bretagne, dans le Cotentin, le Maine, l’Anjou, le Poitou, entre 55 et 90 % des prêtres, selon les diocèses, refusent de prêter le serment constitutionnel qui équivaut à la rupture avec la papauté. Réfractaires, ils encourent aussitôt les peines prévues contre les insermentés: chassés de leur cure, menacés de déportation s’ils ont moins de 60 ans, astreints à résidence surveillée s’ils ont atteint cet âge, ils n’ont le choix qu’entre l’exil ou la clandestinité, à leurs risques et périls car les autorités, ahuries de cette résistance, ne tardent pas à se muer en persécutrices. Des prêtres ayant prêté serment sont imposés à des paroisses attachées à leurs anciens desservants, ce alors que Rome, sortant du silence, frappe d’excommunication les assermentés qui ne se rétracteraient pas.
Dans l’Ouest, cet état de fait engendre un fort mécontentement. Des « juroux », comme les paysans appellent les tenants de la Constitution civile, sont chassés des presbytères. Dans le même temps, les catholiques s’organisent. Des filières de passeurs sont mises en place afin d’exfiltrer les proscrits, prêtres ou laïcs, en danger, tandis que d’autres groupes s’occupent de cérémonies et pèlerinages nocturnes et clandestins.
Dans l'Ouest, la question du clergé met le feu aux poudres