L'odyssée du Graf Spee

Grâce à ses cuirassés de poche rapides, la marine allemande pouvait causer des dégâts importants à la marine marchande britannique. Deux de ses cuirassés avaient pris la mer avant la déclaration de guerre. L’odyssée de l’un d’eux, le « Graf Spee », retint l’attention mondiale.

Les ruses du Graf Spee
Déjouant l’attention des navires britanniques, le « cuirassé de poche » emploie toutes les ruses imaginables pour se faire passer pour ce qu’il n’est pas. Ainsi, il signe ses messages radio soit Admiral Scheer soit Deutschland, semant la confusion dans les états-majors de la Royal Navy. Pour s’approcher de ses proies sans les faire fuir, sa
tactique habituelle est d’arborer le pavillon d’un autre pays… jusqu’à ce qu’il tire un coup de semonce et hisse à la place le pavillon allemand – ce que tolèrent les lois de la guerre. Autre méthode, le camouflage : le Graf Spee
possède une superstructure reconnaissable entre toutes. Fin novembre, Langsdorff fait donc monter une tourelle en bois avec de faux canons à l’avant et ajouter une cheminée factice pour « casser » sa silhouette. Armé d’un exemplaire du Jane’s Fighthing Ships, le « Who’s who » des navires de guerre en service de par le monde, Langsdorff dirige les transformations, s’éloignant du vaisseau dans une vedette pour en faire le tour et savoir si, comme il le souhaite, sa nouvelle silhouette ressemble à celle du Repulse ! Il avouera lui-même avec humour : « Je suis comme une jeune fille coquette, je change souvent d’apparence. Je mets un nouveau chapeau et une veste différente, et je deviens une autre femme ! »

La construction du Graf Spee

Le 23 août 1932, le ministère allemand de la Défense approuve la construction du troisième navire de la classe Deutschland pour remplacer le Braunschweig, un vieux cuirassé à la longue carrière, mis en réserve en 1926, rayé du registre naval en 1931 et servant depuis de ponton flottant à Wilhelmshaven. C’est d’ailleurs dans les chantiers navals de ce port que doit voir le jour le Panzerschiff ’C’. Sa quille
est en effet posée le 1er octobre 1932 sur la cale n°2 de Marine Werft, puis la construction est transférée dans la cale n°1 tout juste libérée par le lancement du Scheer le 1er avril 1933.
Le 30 juin 1934 a lieu le lancement. Tandis que le pays se réveille groggy après la célèbre « Nuit des longs couteaux » (29-30 juin) durant laquelle Hitler a mis au pas les SA de la manière la plus sanglante qui soit, le gratin de la Marine se retrouve à Wilhelmshaven pour baptiser le dernier « cuirassé de poche ». La marraine n’est autre que Gräfin Huberta von Spee, la fille de l’ancien vice-amiral.
L’amiral Raeder est présent : « Ayant personnellement connu celui-ci à bord du Deutschland en 1897 et rédigé l’historique de ses opérations, je prononçai moi-même le discours traditionnel. […] je rendis hommage à l’héroïsme de l’ancien chef d’escadre et de ses vaillants équipages. Sa fille baptisa le cuirassé du nom de Admiral Graf Spee. »
Le bâtiment est commissionné en janvier 1936 et commence alors ses essais, préliminaires obligés avant sa mise en service qui intervient en avril.
Le Graf Spee profite de tous les retours d’expérience de ses deux aînés. Les ingénieurs ont intégré au fur et à mesure de sa construction plusieurs modifications qui en font le Panzerschiff le plus rapide (28,5 nœuds), mais aussi le plus lourd : totalement équipé, avec armement, approvisionnements et équipage, il déplace 12 340 t (déplacement standard), bien loin donc des 10 000 t autorisés par le traité de Versailles. Ce dépassement n’est cependant plus considéré comme problématique : le 18 juin 1935, l’Allemagne a signé un traité naval bilatéral avec le Royaume-Uni permettant à la Kriegsmarine de disposer d’une flotte représentant au maximum 35 % du tonnage de la Royal Navy (45 % pour les submersibles). Cet accord torpille littéralement les clauses navales du traité qui stipulait que l’Allemagne ne devait disposer que d’un tonnage de guerre maximal de 144 000 t. Or, l’Angleterre en possédant 1 240 000 t, l’Allemagne se voit maintenant octroyer une limite haute de 434 000 t, soit quasiment le triple de 1919 !

Ravitaillement du Graf Spee en pleine mer

Dès août, en prévision de la guerre qui s’annonce, la Kriegsmarine fait partir pour l’océan deux de ses Panzerschiffe. Le Graf Spee quitte Wilhelmshaven le 21 et le Deutschland le 24. Leur départ n’est qu’une des facettes d’une organisation bien plus vaste : ils sont précédés et suivis par plusieurs bâtiments ravitailleurs à l’aspect bien inoffensif. Croisant au large et attendant à des points de rendez-vous déterminés à l’avance, ces derniers doivent mettre à disposition des cuirassés de poche leur
cargaison (eau, munitions, nourriture et mazout) pour en prolonger la croisière aussi longtemps que possible sans devoir faire escale dans un port neutre ou rentrer faute de carburant.
Ainsi, dès le 5 août 1939, le pétrolier Altmark a appareillé pour Port Arthur, au Texas, où il doit remplir ses cuves. Il a bien été repéré par les Britanniques pendant qu’il empruntait la Manche le 6, mais ils n’ont pas compris à quoi pouvait servir ce bâtiment qui atteint alors la côte américaine sans encombre. Une fois stockées quelque 9 400 t de carburant, il a repris la mer le 19 (soit avant même le départ du
Graf Spee) et croise depuis dans sa zone d’attente au milieu de l’Atlantique. En fait, la Royal Navy n’a pas retenu les leçons de la Première Guerre mondiale : privé de points d’appui (possessions coloniales, comptoirs, etc.) permettant à sa flotte de se ravitailler loin des côtes allemandes, le IIIe Reich avait constitué à l’époque un train d’escadre de navires-charbonniers pour les croiseurs du vice-amiral von Spee.
En 1939, la stratégie est identique, à la différence près que le mazout a remplacé le charbon, ce qui permet des ravitaillements plus rapides et en pleine mer.

Le Graf Spee doit couler les navires marchands

Le 24 août 1939, le Graf Spee passe discrètement entre les îles Féroé et l’Islande pour entrer dans l’Atlantique. Quatre jours plus tard, il ravitaille au large des Açores auprès de l’Altmark tandis que le Deutschland passe lui-même le détroit de Danemark entre le Groenland et l’Islande. Hitler a donné des ordres formels : tant que la guerre n’est pas effective avec la France et le Royaume-Uni, le Deutschland et le Graf Spee doivent se tenir à distance des côtes et des navires ennemis pour ne pas aggraver la situation et laisser une possibilité d’amener Paris et Londres à la table des négociations.
Mi-septembre, il paraît cependant clair que ces deux pays ne se sont pas laissés impressionner par l’invasion de la Pologne et que la guerre va durer. Aussi, le 26 septembre, Reader ordonne le début des opérations contre le trafic ennemi : « le commandement recherche par l’engagement des Panzerschiffe des succès rapides et importants, mais n’est prête en aucune façon à payer ces succès de la perte prématurée d’un bâtiment. » Autrement dit : s’en prendre aux navires marchands oui, s’opposer aux vaisseaux de guerre ennemis non !
Corsaire mais non pirate, le Graf Spee est contraint de respecter les lois codifiant les prises : les ruses de guerre (camouflage, faux pavillon de nationalité, etc.) sont autorisées, mais les navires interceptés doivent l’être après une sommation réglementaire et leur destruction après s’être assuré que leurs équipages ont bien pris place dans les embarcations de sauvetage.
Dans la Kriegsmarine, il est de tradition de laisser une grande liberté de manoeuvre au commandant d’un corsaire ; Langsdorff est à son affaire, ayant une idée précise de comment remplir sa mission. Depuis le 21 août, le « cuirassé de poche » s’est avancé jusque dans l’Atlantique Sud, se ravitaillant déjà quatre fois auprès de l’Altmark. Cette période d’inactivité qui pèse sur le moral de l’équipage durera plus
d’un mois avant qu’Hitler n’accepte enfin le plan initial de Raeder qui souhaite depuis le début coordonner les opérations des unités de surface en mer du Nord avec celles des U-Boote et des Panzerschiffe dans l’océan pour disperser le plus possible les moyens de défense ennemis.

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