La construction du mur de Berlin

Des colonnes de tanks dans la banlieue de Berlin-Est

Dans le Berlin de l’après-guerre, la porte de Brandebourg, demeurée par miracle intacte, se dresse comme le symbole de la volonté de survie des Berlinois. Orgueilleusement élevée au travers de la plus célèbre avenue de la capitale, Unter den Linden, elle est située en zone soviétique, très près de la ligne de démarcation marquant la limite des deux secteurs. Cette nuit-là, de part et d’autre de cette ligne — de simples rails de tramway jusque-là respectés par tous —, deux détachements armés montent la garde : l’un de l’Allemagne de l’Est, l’autre de l’Allemagne de l’Ouest. A l’Ouest les Schupos — diminutif de Schutzpolizei —, à l’Est les Vopos.
Le chef de la patrouille occidentale, Franz Schmulda, a pour adjoints Rudy Schulze et Peter Schrôder. Au cours de la soirée du samedi 12 août, ils ont constaté comme à l’accoutumée de nombreuses allées et venues entre les deux zones : les familles allemandes, qu’elles résident d’un côté ou de l’autre, aiment bien se rencontrer en fin de semaine. A partir de minuit, piétons et voitures se sont faits plus rares. Décidément, la nuit sera calme.
Vers 1 heure du matin, Schulze et Schrôder aperçoivent une véritable foule, en provenance de la porte de Brandebourg, s’avancer vers eux. Des gens de toute sorte, de tout âge. Des familles entières, surexcitées ou larmoyantes. Ils expliquent qu’ils ont pris le S-Bahn pour rentrer chez eux, à Berlin-Ouest, mais que le trafic s’est trouvé interrompu brusquement. Alors, il a fallu qu’ils rentrent à pied !
Schulze et Schrôder s’en vont informer le chef de patrouille Schmulda qui avertit sur-le-champ le commissariat de police de Tiergarten. De minute en minute, le flot des piétons grossit. Tous dans le même état d’exaspération et de crainte. Schmulda les interroge. Que se passe-t-il en secteur soviétique ? On lui répond que l’on a vu des colonnes de tanks dans la banlieue de Berlin-Est. Des troupes sont massées sur la MarxEngelsplatz.

Les 162 kilomètres de la frontière qui entoure Berlin-Ouest. sont bloqués

Un peu avant 2 heures du matin, Schulze, resté seul de garde, entend, au-delà de la porte de Brandebourg, un grondement de moteurs — des camions, à n’en pas douter. Au même moment, les projecteurs qui éclairaient le monument, faisant ressortir l’harmonie de ses six colonnes doriques, s’éteignent brusquement. Quelques instants plus tard, un camion passe entre les colonnes de la porte, s’avance sur la Hindenburgplatz, s’arrête. Schulze voit une douzaine d’hommes, armés de mitraillettes, sauter du camion. Ils se postent à la limite extrême du secteur, à une dizaine de mètres, bloquant l’accès par lequel viennent de passer des centaines de piétons. Une autre escouade — des miliciens débouche de la travée centrale de la porte de Brandebourg, portant des chevaux de frise et des barricades préfabriquées.
Pendant que Schulze court téléphoner, Schrôder prend sa place. Descendus de camions venus se ranger en retrait de la porte de Brandebourg, d’autres soldats apportent des barbelés. Certains s’avancent jusqu’à la ligne de démarcation et mettent rapidement en place des mitrailleuses qu’ils pointent en direction de l’Ouest.
Sorti du poste de garde occidental, le chef de patrouille Schmulda reste bouchée bée devant ce déploiement. De nouveaux soldats est-allemands surgissent à chaque instant. Des chevaux de frise sont maintenant disposés sur deux lignes, perpendiculairement aux deux extrémités de la porte de Brandebourg. De nouveaux camions ont pris la place des premiers. On en descend des poteaux de béton qui vont servir d’appui aux fils de fer barbelés ‘.
Le spectacle auquel, abasourdis, viennent d’assister Schmulda, Schulze et SchrifIder se déroule identiquement — à la même heure, à la même minute — sur les 162 kilomètres de la frontière qui entoure Berlin-Ouest.

Berlin-Ouest est désormais coupé de l'Est

Willy Brandt, bourgmestre socialiste de Berlin-Ouest, roule en wagon-lit à travers l’Allemagne fédérale où se poursuit le marathon de sa campagne électorale. A 5 h 17, l’express Munich-Kiel s’arrête en gare de Hanovre. On vient prévenir Brandt que Berlin-Ouest est désormais coupé de l’Est ; il faut rentrer. On détache les deux voitures spéciales du train, on les range sur une voie de garage. Brandt et, son escorte sautent dans des taxis qui roulent à toute allure vers l’aéroport. Ils s’envolent pour Berlin. A peine arrivé, le bourgmestre se rue à Dahlem, à la Kommandantur où les trois généraux délibèrent toujours. Très agité, il leur demande ce qu’ils comptent faire. Au nom de ses collègues, Albert Watson II répond :
— Nos capitales respectives ont été informées. Nos gouvernements prendront la décision qui s’impose.
Voilà qui ne peut satisfaire Brandt. Avec véhémence, il propose que les Alliés envoient des patrouilles le long de la frontière du secteur soviétique. Au moins, cela réconfortera les Berlinois ! Froidement, on lui rétorque que c’est impossible. Les commandants occidentaux ont seulement prévu de déposer une protestation auprès du commandant soviétique, le colonel Solovyov.
Brandt a beau plaider, il n’obtient rien de plus. En prenant congé, il s’écrie que si telle est la position des commandants occidentaux, « alors l’Est tout entier, de Pankow’ à Vladivostok, va se tordre de rire » !

Kennedy nous a laissés tomber

es milliers de Berlinois au désespoir se rassemblent, à la limite des secteurs, devant ce rempart qui, pour n’être encore composé que de barbelés et de chevaux de frise, ressemble déjà à un mur

La nuit tombe sur Berlin sans que rien n’ait été entrepris, ni même envisagé. En apparence, l’Occident accepte le coup de force. Des milliers de Berlinois au désespoir se rassemblent, à la limite des secteurs, devant ce rempart qui, pour n’être encore composé que de barbelés et de chevaux de frise, ressemble déjà à un mur.
La nuit s’avance et ces gens ne se résignent pas à bouger. Devant la porte de Brandebourg, de jeunes Berlinois scandent : « Berlin toujours libre, toujours libre, toujours libre ! » Ou bien ils reprennent un autre slogan, sans cesse répété : « Budapest ! Budapest ! Budapest ! »
A la même heure, Willy Brandt, recru de fatigue, gémit :
— Kennedy nous a laissés choir.

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